Faciliter le dialogue politique nation - territoires
- Karim Bouhassoun
- 25 mai 2022
- 7 min de lecture
Des « conseillers dialogue politique » dans chaque ministère pour un quinquennat gagnant-gagnant
N’ayons pas peur des mots : notre système démocratique est en crise. Le taux d’abstention aux élections politiques est en augmentation constante ces dernières années. Et le vote extrême enserre démocrates et progressistes dans l’étau constitué d’une part par la montée en flèche du populisme – phénomène largement répandu dans le monde du Brésil aux États-Unis en passant par la Hongrie ou la Pologne et l’Italie – et d’autre part par l’émergence de leaders populistes charismatiques.
C’est face à cette crise qu’il est nécessaire d’envisager de nouvelles manières d’animer le dialogue politique national. Non pas juste au moment des élections. Non pas entre partis politiques. Il n’est pas là question d’œcuménisme. Mais entre les représentants de la souveraineté nationale et ceux qui composent la représentation des territoires de France. Il ne s’agit pas non plus d’une nouvelle Conférence nationale des territoires. Mais de liens humains entre collaborateurs ministériels et ceux d’élus de collectivités, opérés de manière transversale et organisés depuis l’Élysée.
L’impulsion de l’État est primordiale dans ces nouvelles pratiques de dialogue politique entre la nation et les localités. Puisque l’État est le « bien public » par excellence, il lui revient d’organiser cette nouvelle forme de relations car nous avons besoin d’un climat politique apaisé. Ce climat sera la condition d’une circulation fluide de l’information quelles que soient les polarisations politiques. Car des torsions anciennes et incomprises entre le gouvernement et les forces locales publiques et privées [MM1] qui composent les territoires portent préjudice au développement économique et social.
Le point de vue des marges
Pour beaucoup de Français, osons le dire, l’excellence n’a pas bonne presse, tout autant que place centrale équivaut à « élite » et que la notion de responsabilité s’apparente à l’idée de privilège. Depuis les territoires, L’État central est perçu [MM2] selon deux cônes de vue particulièrement teintés par le regard de l’observateur. Comprendre cela et y remédier est un préalable pour bâtir la confiance dans les politiques et entre politiques. Une confiance en chute d’autant plus libre chez les Français que la crise des « gilets jaunes » a terni dans la violence la symbolique de la légitimité du suffrage universel.
Le premier de ces cônes de vue, c’est celui des habitants de la périphérie : territoires ruraux, banlieues, ville excentrées, marges, espaces contraints par la topographie et la géographie (littoral, montagne, insularité) ainsi qu’une sociologie locale traduisant les déficits d’aménagement public et d’activité économique privée (déserts médicaux, absence de transports publics…). Pour cette France des « marges », l’Etat est le fameux « monstre froid » : trop loin et trop techno pour être considéré comme un interlocuteur. Trop opaque et mystérieux pour ne pas être regardé comme l’instrument de puissances lointaines et hautaines.
Le second cône de vue compile celui de collectivités tantôt en défiance du point de vue de l’évolution de leurs compétences propres et partagées ces dernières années (« détricotage » des départements, grandes régions géographiques mais naines sur le plan budgétaire, conséquences de la LOM…) et de la réduction des Dotations globales de fonctionnement, tantôt de leur couleur politique quand elle est différente ou opposée à celle des autorités centrales.
Ces permanences – même si elles sont nuancées selon les régions – dans lesquelles sont incrustés les logiciels de pensée et d’action politique locaux sont incomprises depuis Paris. Or, elles ne sont ni irrémédiables, ni morbides. Elles sont le résultat d’une donnée géographique et sociale (les « bassins de vie ») et de fondamentaux anthropologiques et politiques (le bouillon de culture de la vie locale). Elles n’en restent pas moins un écueil dans la fluidité de l’application des décisions publiques : freins politiques aux réformes imposées depuis Paris d’un côté, et mesures de bon sens locales ignorées par le national de l’autre en sont des illustrations concrètes et courantes. Plus importante encore que ce constat est la question de la responsabilité morale de cette situation. Elle est certainement partagée. Cela étant, il revient non pas aux « marges » en tant que telles de se réformer, mais à l’État, selon une tradition plutôt jacobine nous en conviendrons, [MM3] d’organiser les moyens d’une reconnaissance mutuelle nouvelle. D’initier l’entrée dans une ère de détente sur la forme et d’une maturité inspirant la confiance mutuelle[MM4] . Certes, quand les urnes parlent, on déroule son programme politique. Mais l’État, la Res Publica, ce n’est pas l’apanage d’une majorité qui devrait en priver une minorité. On décide, et on renonce. C’est cela gouverner. Mais pas au détriment de la fluidité du dialogue politique dont dépend la vie démocratique et partant, l’efficience publique. Il s’agit bien ici de dialogue politique, et pas d’un nouvel échelon de comitologie qui viendrait s’ajouter aux missions des élus, de leurs associations et de la Direction générale des collectivités locales.
Les fonctions des « conseillers dialogue politique »
Nous l’avons vu, les relations entre l’État et les collectivités territoriales sont difficiles pour plusieurs raisons. Quelles que soient les oppositions politiques, les incompréhensions sont structurelles. Elles seront dépassées par les conseillers dialogue politique et leurs équipes grâce à un apport inédit :
La puissance du symbole : le fait qu’un collaborateur du président de la République, du Premier ministre et de chaque ministre ou secrétaire d’État aie en charge le dialogue politique serait en soi un signal de détente. Le fait que chaque élu local puisse s’adresser directement à un ministère sera un gage de réconfort et, partant, d’apaisement.
Un dialogue désintermédié : le président de région, de département ou de métropole qui souhaite échanger de vive voix avec le personnel politique d’un ministre obtiendra, dans les 48h, le dialogue attendu.
La remontée d’informations : le collaborateur politique local pourra porter à la connaissance du Gouvernement un point structurant de l’action publique locale dans des délais brefs. Et requérir instruction et réponse rapide de l’État. Tout en répondant au besoin croissant d’agilité face aux changements et enjeux actuels de résilience des territoires qui sont traversés par des crises multiples (sanitaires, sociales, inflation…).
L’intermédiation avec les instances politiques nationales : le « conseiller dialogue politique » est également tourné vers les instances politiques nationales (commissions parlementaires, assemblées de maires comme l’APVF, de présidents de département ou de régions, comme Régions de France). Il les saisit pour orienter un élu local au sujet d’un dossier relevant de leur ressort. Il les mobilise quand le panorama du dialogue politique avec les collectivités fait émerger une demande récurrente et structurante (ex : des élus locaux veulent faire leur part en matière de lutte contre un épisode de sécheresse ; deux ou trois présidents de région sont prêts à contribuer à leur manière à lutter contre l’inflation des produits pétroliers, etc).
Le pouvoir de désamorcer : il sait faire économiser aux élus locaux et à leurs entourages les trésors d’énergie qu’ils dépensent à se faire entendre des autorités de l’État central. Il épargne à tel élu de descendre sur les rails en gare de sa ville qui va perdre un arrêt de train à contrepied de tous les efforts d’investissement publics locaux qui répondaient à l’idée de fonder la croissance locale sur la gare TGV. Il évite à tel autre la réinvention avec les moyens du bord du lobbying parlementaire car son courrier à l’administration centrale n’avait jamais eu de réponse.
Des espaces de dialogue hybrides : le « conseiller dialogue politique » soustrait au tourment de la politique des espaces de compréhension mutuelle centre-périphérie, souples et agiles, instantanés et bienveillants. Ne présumant pas de la réponse qui sera donnée, mais engageant dans la forme toute la force de l’écoute. Les freins politiques existent. Il le sait. Il fournit des efforts pour les lever et orienter État et collectivités vers l’optimum de premier rang.
Un espace de dialogue « tampon » pour écouter et agir de concert : il offre aux ministres l’avantage d’anticiper les tendances locales génératrices de frustration et de « déminer » les crispations avant qu’elles ne deviennent irrésistibles et qu’elles ne menacent de muer en violences. Il sait trouver dans les temps de crise des relais locaux soutenant l’impératif de la continuité du service public, la sécurité et la sûreté des habitants et l’ardeur qu’il faut pour préserver l’intérêt général en toute circonstance.
Le passage à l’échelle de solutions locales de bon sens : il contribue à la généralisation sur le territoire des innovations de terrain, telle cette trouvaille d’une association régionale d’intérêt public qui a apporté la juste réponse, éprouvée localement, pour impliquer les représentants des employeurs dans un financement à 50 – 50 avec les pouvoirs publics pour lutter contre l’inflation. Il fait connaître à ses homologues du ministère des Solidarités que telle élue régionale co-finance les emplois d’insertion sur plusieurs départements, sans que personne ne le sache dans le ministère qui en a pourtant la charge selon la loi.
En conclusion, le « conseiller dialogue politique » est un ouvrier de l’apaisement politique
Les lois de décentralisation se fondaient sur des enjeux d’efficacité (agilité de l’action publique locale), de vie démocratique (autonomie politique) et culturels et civiques (rompre le monopole de l’État central). Elles peuvent être complétées à moindres frais par l’objectif de fluidité des relations entre nation et localités. Les « conseillers dialogue politique » offrent une veille politique nationale et locale croisées et partagées qui repose plutôt sur une méthode que sur une énième agence ou institution. Il sait que les couleurs politiques opposées n’empêchent pas de travailler ensemble. Il rassure les élus locaux qui voudraient s’autocensurer sans tenter leur chance. Il détend les atmosphères. Il incarne la promesse du « président de tous les Français » incarnée par Emmanuel Macron, récemment investi. Les « conseillers dialogue politique » sont des tisseurs. Ils désamorcent avec minutie l’archipélisation politique du pays. Ils offrent dans un dialogue humain et généraliste les conditions d’un lien entre Paris et les clochers, Paris et les grandes barres d’immeubles, Paris et le périurbain, Paris et les littoraux, les montagnes, les plaines, les collines et les vallées. Il contribue à exorciser les impacts moraux profonds que la crise des gilets jaunes suivie de la crise sanitaire ont fait porter sur les collectivités locales, mairies, départements et établissements de coopération intercommunale en premier lieu. Il permet que les « jeunes » grandes régions trouvent tout leur sens dans la construction d’un récit national de leur histoire propre. Il permet enfin aux informations locales de remonter vers le national avec des canaux fermes et permanents, comme le constituent, en sens inverse, les canaux des services déconcentrés de l’État. Il est la dimension humaine qui huile la mécanique administrative.
Un nouveau quinquennat s’ouvre. Le nouveau président a l’opportunité de marquer son quinquennat par une approche nouvelle des relations État – collectivités, nation – localités, centralité – périphérie. Il n’y a aucun risque en la matière. Il y a tout à intérêt à investir des synergies nouvelles gagnées sur le territoire d’incompréhensions et de préjugés. Sans naïveté ni rien céder à la fermeté du décideur. La nation en sortira renforcée et apaisée.

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