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Vivre la campagne

Les territoires ruraux sont à tort considérés comme déclinants car leur image est leur premier argument. Pourtant, pour fuir la société abhorrée des romans d’anticipation comme celui d’Huxley, la campagne est une panacée. Les territoires hors ville sont aussi relégués par l’opinion majoritaire à des fonctions récréatives ou à vocation agricole : production de nourriture, réservoirs naturels, sites de tourisme ou d’itinérance… à l’encontre de ce qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire des territoires en soi. Car c’est méconnaître la tendance de fond aux déséconomies d’échelle en matière agricole. L’épisode de la suppression des quotas de production laitiers en avril 2015 et ses conséquences parlent d’eux-mêmes. Des quotas qui étaient instaurés en 1984 pour limiter la surproduction et garantir des revenus aux producteurs. Cette suppression a rendu possible l’augmentation de l’offre qui a naturellement engendré une baisse des prix : on achète aux producteurs le lait à 30 ou 35 centimes d’euros le litre alors que le seuil de rentabilité se situe à 44 centimes par litre, si le producteur veut se verser l’équivalent d’un SMIC. Le calcul est aisé. En Europe, les éleveurs ne sont payés que 340 € pour produire 1 000 litres de lait alors que le coût de revient d’une telle quantité est en moyenne 450 euros sur le continent.


Une déshérence voulue


Ce sont nos campagnes que l’on tue à petits feux. Ces évolutions posent la question de la carte des inégalités et de l’avenir qu’il est possible d’offrir aux enfants des régions désindustrialisées et notamment aux régions rurales. De quelles ressources disposent les politiques ? Quelle est la boîte à outil pour inverser cette tendance funeste ? La perte de compétitivité de l’industrie française, comme vu plus haut, et qui est une des principales causes de la désindustrialisation, est structurelle. Ce constat nous oblige à la plus grande honnêteté : nous ne réindustrialiserons pas la France à moins que nous n’investissions dans des technologies de pointe destinées à répondre, avec des produits mondiaux, aux besoins de la planète. Les conséquences de cet état de fait sont déjà visibles. Une économie de plus en plus urbaine, avec des emplois qualifiés à salaires supérieurs notamment dans le numérique et d’autres à salaires modérés liés à l’économie présentielle et nécessitant moins de qualification, comme l’éducation, la santé, les transports et les services à la personne. Les villes embauchent, les banlieues et les campagnes ainsi que les régions anciennement spécialisées dans l’industrie souffrent.


Les campagnes comme frontières du possible


C’est pourquoi les ruralités doivent être perçues comme des frontières économiques au sens américain du terme, et pas simplement comme le grenier de la France où un réservoir d’espèces naturelles. A condition de changer de point de vue et de considérer que l’isolement des usines par rapport aux zones habitées constitue un modèle d’organisation spatiale du territoire qui est assumé et défendu en tant que tel. Car le monde rural n’appartient pas qu’aux paysans. Pour s’en convaincre, il faut savoir que l’emploi agricole ne représente qu’à peu près 14 % de l'emploi rural total. C’est l’économie résidentielle, avec près de 50% de l’emploi rural, qui est le moteur du développement de nos campagnes : commerces, services aux personnes, services publics de la santé, de l’éducation ou administrations. Les ouvriers représentent quant à eux 35 % de la population active dans nos campagnes. Une proportion largement plus élevée qu’en ville où ils représentent environ un quart de la population active. Il y a par conséquent quatre fois plus d’ouvriers que d’agriculteurs dans nos campagnes. Ce qui en dit long sur la place de l’industrie dans l’économie de nos espaces ruraux, réalité qui n’est que peu connue. La campagne, c’est la qualité de vie. Dans une civilisation du loisir, où l’on veut travailler moins pour se consacrer à ses proches et ses passe-temps préférés, la campagne est un bonheur. C’est aussi la qualité de vie de ceux qui veulent quitter le bureau ou l’usine à la pause méridienne et faire un pique-nique entre amis ou en famille sur une colline, et être à nouveau opérationnels à 14 heures. Le bien-être, c’est un argument d’attractivité, et l’attractivité, c’est aussi l’industrie et les services. Il y a méprise à penser que la ruralité est synonyme de limites aux relations sociales. Nos campagnes sont une nouvelle frontière où tout est possible. Il suffit d’une connexion au très haut débit, d’une zone d’activité aménagée et d’une gare TGV à moins de 30 minutes pour que la ruralité devienne un environnement valorisé par les employeurs et sur le plan immobilier. L’environnement doit être considéré comme une prime à l’installation des futurs ruraux. C’est ainsi que l’on peut inverser la vapeur, en faisant de la ruralité un argument commercial pour les entreprises et les salariés. L’inversement du regard doit permettre de considérer l’environnement comme un service rendu aux salariés, aux ingénieurs, aux cadres, aux agents de maîtrise, au management, à la direction. Comme une prime, en quelques sortes. Les campagnes offrent aux industries des possibilités d’échange par voie fluviale insoupçonnée, des capacités d’aménagement liées au foncier libre, avec la perspective d’aménagement de zones de développement libres de toute entrave. En mobilisant comme matériau un cadre de vie plus sain, plus familial, loin de la pollution et du rythme effréné des grandes villes, on peut écrire une nouvelle mythologie de nos campagnes.




Retrouvez les développements sur le thème de la cohésion des territoires dans les ouvrages de Karim Bouhassoun

 
 
 

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