Les transclasses : Miser sur la jeunesse
- Karim Bouhassoun
- 10 oct. 2022
- 3 min de lecture
Retrouvez ici l'article auquel a contribué Karim Bouhassoun "Transclasses : les 5 galères à surmonter au cours de ta carrière" paru dans Les Echos
Pour porter une politique de très grande ampleur afin de résoudre la crise des banlieues par l’économique et le social, il faut un portage politique national fort et une envie réelle de renverser la table. Pas des moyens minimaux et une approche convenue qui est condamnée à durer pour le pire, comme l’éducation prioritaire. Il faut des actions rapides et transformantes.
Renverser la table
L’ANRU l’a permis. Pourquoi faut-il être plus patient pour changer la vie des gens qu’on ne l’a été pour changer l’urbanisme ? La banlieue est la grande perdante du partage du pouvoir d’action entre État et collectivités. Sans limites administratives qui pourront en faire une « collectivité », elle est condamnée à ne pas avoir d’incarnation politique. Alors qu’elles réclameraient un leadership national pour un plan de développement porté par une « Agence nationale du développement des banlieues » comme a existé une « Agence nationale de la rénovation urbaine ».
Une géographie politique des jeunesses fragiles
L’Histoire récente des banlieues est le théâtre d’un florilège d’initiatives qui ont échoué, faute de moyens et d’incarnation politique. Voilà plusieurs épisodes de décentralisation depuis les années 80. Un Comité interministériel des villes, un ministère de la Politique de la ville, un Conseil national des villes, les collectivités territoriales, les associations, les entreprises, les organismes publics, l’ANRU, l’Acsé et bientôt le Grand Paris... tout le monde parle de banlieue. Mais quel paradoxe de les avoir égarées en chemin, avec les 7% de 89 Français qui vivent dans des ZUS où les inégalités et la pauvreté augmentent ! Il faut une reconnaissance nationale aux banlieues qui sont certes perçues comme des territoires prioritaires mais qui n’ont en réalité pas d’élus, pas de ministre ni de parlementaires dédiés. Qu’il me soit permis de rappeler que je n’oppose pas la capitale et la province aux banlieues. Les banlieues sont partout. Des Zones urbaines sensibles aux « territoires entrepreneurs » que la loi a consacrés récemment en passant par les ZEP, « zones d’éducation prioritaires », la réalité est la même à Paris, à Poitiers, à Lille, à Dijon, à Toulouse, à Nevers, à la Réunion….
Miser sur la jeunesse de banlieue
Plus de pauvreté, davantage de problèmes d’accès à la santé, la dégradation physique et sociale des grands ensembles, le chômage de masse et de longue durée… ces maux n’ont pas de géographie. C’est justement ce que je dénonce, et ce que j’identifie comme la cause principale de la stagnation, de cette situation qui a pourri au fil des ans et à la situation dans laquelle nous sommes, c’est-à-dire de banlieues livrées à elles-mêmes. Et qui livrent leur jeunesse à ellemême en condamnant les inégalités à se reproduire d’une génération à l’autre. La jeunesse, c’est l’avenir de la France. Pourquoi les décideurs et gouvernants de demain, les startupers, les explorateurs, les ingénieurs, les poètes, musiciens, comédiens et journalistes ne seraient pas issus de la banlieue ? Pourquoi est-ce qu’on investit si peu en banlieue ? Il faut miser sur la jeunesse de banlieue pour améliorer demain et désamorcer la bombe à retardement dont je parlais plus haut. Des sociologues comme Robert Castel avaient déjà montré il y a dix ans l’urgence d’investir à destination de ces jeunes, des décrocheurs scolaires ou des discriminés à l’embauche, qui se vivaient déjà comme des « étrangers de l’intérieur assignés à résidence »...
Des territoires à part entière de la République
Les banlieues, ce sont des territoires de la République qui concentrent pauvreté et immigration récente. Les immigrés légaux apportent du travail, de la richesse, et contribuent au développement de notre pays. « La richesse d’un pays, ce sont ses gens » comme le scandait mon professeur d’Histoire-Géographie de Seconde au Lycée de Montgeron. Ne pas réunir les conditions pour permettre aux immigrés de rassembler les éléments de leur réussite, les « parquer » dans les banlieues loin des villes-centre, c’est jouer contre le développement de notre pays. A moins qu’on estime que les inégalités sont bonnes pour la croissance… Alors oui, il faut « sauver » les banlieues. Pour elles-mêmes, et pour la France. Si on s’occupe des banlieues, c’est la France qui ira mieux.

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