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La paix apporte-t-elle la sécurité?

voici les ligne que j'écrivais il y a deux ans sur le prix du sang à payer pour que la paix soit possible en Europe. C'était bien avant que les tensions en Europe orientale ne débouchent sur une nouvelle guerre d'ampleur sur le Vieux continent.


Un temps de paix ?


L'une des caractéristiques de notre temps, c’est que L’Europe vit une période de paix relative. On dit souvent que nous sommes une génération qui n’a pas connu la guerre. C’est vrai, sur le continent européen. Mais c’est en partie une illusion. Tout le monde sait que nos soldats sont engagés dans des conflits aux quatre coins du monde. Entre 2000 et 2020, plus de 230 soldats français sont morts en opérations extérieures ou dans l’exercice de leurs missions. En 2016, 26 soldats français ont perdu la vie en Afghanistan. Le 9 mai 2019, deux soldats ont perdu la vie dans l’opération de libération de quatre otages dans le Nord du Burkina Faso. Le 17 juillet 2019, trois soldats sont morts en Guyane en luttant contre l’orpaillage illégal. Le 23 juillet de la même année, trois soldats ont été blessés lors d’une attaque au véhicule piégé à l’entrée de la base française de Gao au Mali. Le 23 juillet 2020, un soldat français a à nouveau été tué au Mali. L’opération « Barkhane » mobilise dans le Sahel 4 500 soldats français depuis 2014. Nos soldats sont aussi présents en Côte-d’Ivoire, au Gabon, au Tchad, en République Centrafricaine, au Liban, en Syrie et en Irak.





Les guerres d’aujourd’hui sont-elles plus justes que celles d’hier ?


Que peut le temps face à la guerre ? Le citoyen du monde, moraliste et libre penseur Jean Rostand a rassemblé dans une formule provocatrice et ironique notre rapport à la mort par la guerre : « On tue un homme, on est un assassin. On en tue des millions, on est un conquérant. On les tue tous, on est Dieu. » Derrière cette formule pamphlétaire, il est aisé de déceler la critique de la justification morale de la guerre et de l’idée selon laquelle la guerre est consubstantielle à l’Homme. Cette pensée déterministe qui veut que la guerre soit inscrite dans ses gènes. La guerre « continuation de la politique par d’autres moyens » selon la formule de Clausewitz, où l’homme viril, noble et courageux est le guerrier patriote. La guerre comme attribut de la souveraineté et moyen d’enraciner son pouvoir et son influence chez Machiavel, selon qui on ne peut pas penser l’État sans penser la guerre. Machiavel qui ne connaît pas de pouvoir sans armée car « un prince (…) ne doit avoir aucun autre objet ni autre pensée, ni prendre aucune chose pour son art, hormis la guerre et les institutions et sciences de la guerre ; car elle est le seul art qui convienne à qui commande. »[1]De leur côté, la plupart des philosophes réalistes considèrent que la guerre défensive est une guerre juste. Il existerait donc des guerres plus nobles que les autres. Certaines guerres, amenées à se répéter dans le temps malgré les horreurs du passé, n’en seraient donc pas moins justes et morales.


Si vis pacem para bellum


Mais il nous faut pourtant garder l’espoir que le rapport de force entre puissances et la diplomatie puissent assurer la voix vers une paix pour tous, une paix pour de bon. Dans l’Histoire des idées, ce concept de paix perpétuelle fondée sur la raison a succédé au concept de « guerre juste ». De Jean Bodin (1529-1596) à Thomas Hobbes, les rationalistes font appel à la raison de l’Homme pour le sauver de la guerre. Pour Jean Bodin, qui s’est inspiré des théories monarchistes, le pouvoir du prince découle du concept de la souveraineté qui est une puissance absolue et perpétuelle qui ne se prend pas par la force. Il est constant et ne nécessite pas l’emploi régulier des armes. L’autorité réside dans la législation et le pouvoir du droit qui donne au pouvoir sa permanence. La théorie de Thomas Hobbes en la matière est intéressante de ce point de vue : si l’ « état de nature » est un état de guerre, les hommes peuvent en sortir grâce à l’institution d’un Etat rationnel, qui sera chargé d’exercer la violence à leur place. La paix perpétuelle en tant que concept moderne est quant à elle censée se propager par le moyen de l’universalité des valeurs pacifiques. Elle exige un ensemble de républiques dont la Constitution reconnaît la raison de la paix. Ces principes destinés à créer les conditions d’une « paix perpétuelle » sont présentés en 1795 dans Vers la paix perpétuelle d’Emmanuel Kant.[2]Pacifiste absolu qui refuse à la guerre toute valeur, il la considère en effet comme un mal car elle fait de l’Homme un instrument de l’Etat. Cette même guerre dont une génération d’européens contemporains a vécu les malheurs et les conséquences a pourtant poussé les hommes à se confronter à nouveau. Elle a mis en rapport les peuples, elle les a sortis de leur isolement à l’état de nature, en maintenant un équilibre des forces qui a permis de contenir les frontières. Fruit et preuve de la discorde, la guerre mène par des voies néfastes et morbides à la concorde, à l’expérience de la pluralité humaine. Elle est l’expression de l’ « insociable sociabilité » de l’homme.


L'Utopie de la paix perpétuelle


Pour réaliser cette utopie de la paix perpétuelle, plusieurs conditions sont requises dont fonder un équivalent international de la constitution civique, bâtir une alliance cosmopolitique afin de garantir la liberté, la publicité des pratiques, l’indépendance et la diffusion de l’idée de droit. Il est nécessaire qu’entre les nations soient fondées des alliances plutôt qu’un super-Etat car « dans un Etat des peuples il y aurait contradiction : comme chaque Etat contient le rapport d’un supérieur (qui légifère) à un inférieur (qui obéit, en l’occurrence le peuple), plusieurs peuples en un Etat ne formeraient qu’un seul peuple, ce qui (puisque nous avons ici à examiner le droit réciproque des peuples, dans la mesure où ils forment autant d’Etats différents et ne doivent pas se fondre en un seul Etat) contredit l’hypothèse ».

Difficile de ne pas faire le parallèle avec le déficit démocratique de l’Union européenne ou encore de l’impuissance des Organisations internationales dont les Nations unies à s’accorder sur les conflits du monde. L’affaire, au 18e siècle, ne paraissait déjà pas simple. Mais il est aisé de remarquer à la lecture de Kant un projet d’Union comme celle dont notre Europe a été le cadre ces 70 dernières années. Cependant, au-delà des accords entre Etats, une véritable conscience cosmopolitique est nécessaire pour accompagner ce projet. Une conscience qui consiste en la sensibilité à tout ce qui se passe dans le monde, au-delà de son Etat propre, pour que « l’atteinte au droit en un seul lieu [soit] ressenti par tous ». Le citoyen cosmopolitique est un être public attentif aux expériences publiques de liberté.


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[1] Machiavel, Nicols, Le Prince, éditions Garnier Flammarion, 1992, Paris. [2] Kant, Emmanuel, Vers la paix perpétuelle, Garnier-Flammarion, Paris, 2006.

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