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Peut-on échapper à la nature ?

Photo du rédacteur: Karim BouhassounKarim Bouhassoun

La nature nous est-elle si familière qu’elle le parait ? Il nous semble que nous savons spontanément de quoi nous parlons. Mais le terme est polysémique : il a plusieurs sens. Ce terme fait d’abord écho à la nature en tant qu’environnement, puis en tant que donné naturel, qui s’oppose à l’artefact. Enfin, on pense aussi au principe et à l’essence quand on parle de « nature profonde » des choses.


Tout change, la nature comme les civilisations

 

La définition de la Grèce classique qui nous vient du philosophe Platon fait le lien entre la nature et l’impermanence. La nature change, bouge, elle est insaisissable. Elle oscille entre naissance et mort, genèse et la corruption, croissance et déclin. Notons au passage un fait important : la nature choisit toujours la vie. Ceci étant dit, en ce sens, l’homme n’échappe pas à sa nature, ni dans sa biologie, ni dans sa manière d’être au monde. Les relations sociales, les faits anthropologiques ou encore les civilisations changent, ils naissent et ils meurent, tout comme tout change dans la nature.

 

Mais alors, si l’Homme et la nature sont une même chose, pourquoi les distinguer ? Pourquoi parle-t-on de naturel et d’artificiel ? comment expliquer le paradoxe que l’homme, partie de la nature, détruit son environnement et celui d’autres espèces, au point de modifier la nature elle-même ?  Les philosophes de la Grèce classique nous disent que l’Homme est contraint de transformer la nature pour survivre. Dans le Protagoras, Platon prend l’exemple du mythe de Prométhée pour souligner le fait que l’Homme, à la différence de tous les autres animaux, est obligé d’adapter l’environnement pour sa préservation. La culture, propre à l’homme, serait donc une anti-nature.


L'homme, naturellement bon, s'est perverti en société


On a parlé d’anthropocène pour définir une ère géologique qui se caractérise par le fait que l’homme devient la principale force de changement de la Terre. Le stade avancé de civilisation que nous aurions atteint par la force de l’artifice se traduit néanmoins par des dommages irréversibles causés aux écosystèmes. Vu de loin, nous pourrions en conclure que c’est notre nature profonde de changer la nature. Et que la distinction entre nature et artifice n’a plus de sens. La culture, produit de l’homme, même si elle s’oppose et finit par atteindre la nature, n’échappe pas à la logique de la nature première de l’espèce humaine, à son essence : en réalisant ce qui en puissance la meut, la culture n’échappe à la nature ni dans ses causes ni dans ses conséquences. Si la nature de l’homme est d’être un être de culture, on pourrait tout aussi bien dire, comme Rousseau dans son Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes, que la nature ne rend pas nécessairement l’Homme meilleur. Naturellement bon, il s’est perverti en entrant en société. La nature de l’homme va jusqu’à pervertir ce qui fait le propre de l’homme, c’est-à-dire la vie en société, par les inégalités qui sont une construction historique.

 

Le parallèle avec la politique est évident. Car la culture, ce qui fait notre propre en tant qu’espèce, peut in fine être à l’origine d’une manipulation du sentiment ressenti et prendre pour justifier un ordre l’apparat de la nature. Plus proche de nous que Rousseau, le sociologue Pierre Bourdieu affirme dans La reproduction que les êtres humains sont toujours identiques, mais que les classes dominantes et les classes dominées sont une construction sociale. La culture peut être aliénante à soi : les classes dominantes imposent aux classes dominées leurs codes culturels pour les reléguer, les écarter du pouvoir et leur donner le sentiment que cet ordre des choses est … « naturel. »





Retrouvez ici deux des ouvrages de Karim Bouhassoun "Que veut la banlieue" et "Soyons philosophes" sur le site de la librairie de Sciences Po.

 


 
 
 

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